Rhum Blanc d’Asie du Sud-Est, aller au fond de la bouteille

Pourquoi un rhum blanc d’Asie du Sud-Est développe-t-il ce profil aromatique ? Remontons de la bouteille à la canne pour le comprendre.

Rhum Blanc d’Asie du Sud-Est

Alors que vous passez en revue les étagères de votre boutique spécialisée préférée, vous tombez sur un flacon de rhum blanc dont l’étiquette arbore une illustration qui vous évoque l’Asie. Curieux et équipé des conseils judicieux de votre caviste, vous repartez avec une bouteille sous le bras.

Il s’agit en effet d’un rhum produit en Asie du Sud-Est : Thaïlande, Vietnam ou encore Laos produisent tous des distillats de canne.

Impatient de découvrir ce qu’il a à offrir, vous ouvrez la bouteille, en versez quelques centilitres dans votre verre à dégustation (oui, le rhum blanc aussi peut se déguster).

Vous êtes surpris d’y découvrir des notes d’une grande fraicheur, herbacées, florales et fruitées. Très expressif, il n’est pas exempt de rondeur, presque de moelleux.

Du haut de votre maigre expérience vous vous dites qu’il ressemble aux rhums blancs de Guadeloupe et de Martinique auxquels vous êtes plus habitués, avec un petit quelque chose en plus, une note légèrement marine ou métallique peut-être ?

 

Nous sommes géographiquement bien loin des Antilles Françaises, comment ce lien de parenté est-il possible ?

 

Avant tout, le point commun le plus évident, qui saute littéralement aux yeux : il est translucide. Cela vient simplement du fait qu’il n’a pas été vieilli. Ainsi, il n’y a pas d’impact du bois, puisque le liquide n’a pas été en contact avec un fût. C’est alors la matière première qui s’exprime pleinement.

Et, comme vous le savez, l’immense majorité des rhums produits le sont à partir de mélasse. Mais ici, les arômes sont trop végétaux et frais ; cela ne colle pas.

Vos narines ne vous ont pas trompé, ce sont bien les parfums de jus de canne à sucre que ce rhum exhale.

 

L’Asie du Sud-Est est un énorme producteur de canne à sucre, la Thaïlande en tête, il était donc naturel que du rhum issu de la fermentation du jus de canne y soit produit.

 

Mais il manquait encore une étape cruciale : l’apport de la connaissance et du savoir-faire. Dans la plupart des cas, sont des Français, installés sur place, qui se sont lancés dans l’aventure.

Tout était alors réuni pour confectionner des rhums blancs de grande qualité. Vous trouverez le plus souvent ces rhums d’Asie du Sud-Est blancs. Cela est dû à plusieurs facteurs :

  • Contrairement à une bonne partie des rhums de mélasse non-vieillis (ne me jetez pas de pierres, je n’ai pas dit « tous »), les rhums blancs pur jus de canne proposent déjà un profil plaisant, qui se suffit à lui-même.
  • La plupart des distilleries de rhum d’Asie du Sud-Est sont relativement jeunes. Or faire vieillir un spiritueux prend du temps et représente un gros investissement, ce qui n’est pas toujours compatible avec une distillerie naissante.
  • La loi thaïlandaise rend extrêmement compliqué le fait de faire vieillir un spiritueux sur le territoire. Il est d’ailleurs tout aussi ardu d’y mettre en bouteille un rhum au-dessus de 40%.

Voilà qui explique le lien de parenté avec les rhums blancs des Antilles Françaises mais attention, ils sont loin d’en être des copies conformes. Ces différences que vous avez pu ressentir au nez et en bouche trouvent leur origine dans plusieurs étapes d’élaboration du distillat.

Première explication : les variétés de canne ne sont pas les mêmes (vous auriez pu y penser). Les rhums blancs purs jus de canne sont pour ainsi dire les seuls où l’on peut ressentir les particularités apportées par la canne à sucre elle-même.

 

Le terroir dans le rhum n’a sans doute sa place qu’au sein de la catégorie des rhums blancs purs jus de canne.

 

Dans le même ordre d’idée, ces rhums sont également uniques en ce sens qu’ils laissent le terroir s’exprimer. Le sol, le climat et la main de l’homme (à la poussette) sont autant de facteurs qui vont marquer de leur empreinte le produit final : le rhum blanc.

Cela s’avère être moins le cas quand le vieillissement intervient et encore moins quand on parle de rhums de mélasse, qui est déjà un produit transformé et qui provient bien souvent d’autres régions du monde que celle du pays producteur.

La seconde explication réside dans la manière dont les jus sont distillés. Alors qu’en Martinique, par exemple, le vin de canne (jus de canne fermenté) doit être distillé sur une colonne créole, les petits producteurs d’Asie du Sud-Est ont fait le choix, souvent dicté par des contraintes économiques, d’utiliser de petits alambics.

Ces appareils, non seulement moins couteux et pouvant travailler avec des quantités limitées de matière première, permettent aussi la mise en place de réglages plus précis et facilement modifiables.
Or, distiller sur colonne ou sur alambic à repasse (voire alambic hybride, où une petite colonne de rectification est intégrée) aura bien évidemment un impact sensible sur le distillat.

Voilà l’origine de ces notes marines et parfois cuivrées, qui s’ajoutent aux arômes prononcés de canne à sucre.

Voilà, vous comprenez maintenant ce que vous avez dans votre bouteille et les raisons pour lesquelles ce rhum possède cette identité particulière.

Laurent Cuvier

Alias “L’homme à la poussette”, dégustateur, auteur, blogueur

Laurent Cuvier est tombé amoureux des distillats issus de canne à sucre il y a plus de dix ans. Journaliste indépendant, blogueur, dégustateur, podcasteur, juré et voyageur du rhum (visites de distilleries en Asie, dans les Caraïbes, en Europe ou encore aux États-Unis), il n’a de cesse de perfectionner son expertise en la matière et de la partager.