Rhum de Porto Rico, aller au fond de la bouteille

Pourquoi un rhum de Porto Rico développe-t-il ce profil aromatique ? Remontons de la bouteille à la canne pour le comprendre.

Décidément, il y a tellement à découvrir et à apprendre dans cet univers du Rhum ! Il y en a aux quatre coins du globe. Des petites distilleries artisanales des îles de l’Océan Atlantique, aux géants de l’industrie de Cuba ou de la République Dominicaine, tous les styles se côtoient.

Il y a justement un pays responsable d’une énorme production (y compris la seconde marque la plus vendue au monde), qui n’est que relativement rarement mentionnée : Porto Rico.

Ne pouvant passer à côté de ce titan de la production rhumière, vous filez chez votre caviste spécialisé, afin d’y recueillir informations, conseils et… bouteille(s).

Louant votre ouverture d’esprit et le pluralisme de votre palais, il vous montre quelques flacons originaires de cette grande île des Caraïbes située à l’Est d’Hispaniola.

 

Alors que vous y jetez un œil (et que vous êtes surpris d’y voir une célèbre chauve-souris, non, pas Batman…), il vous parle de Don Quichotte, de révolution et de style léger.

 

Vous prenez congé, votre nouvelle bouteille dans le sac à dos, vous préparant à la dégustation qui s’annonce.

Chaussures retirées, rhum versé, mains lavées, porte refermée, verres préparés, postérieur posé (à vous de retrouver le bon ordre), vous êtes paré.

Pas d’explosion aromatique qui justifierait la mise en place d’un cordon de sécurité autour de la table basse. Non, il va falloir s’approcher du verre pour aller chercher ce que le liquide a à offrir.

 

Vous voilà face à un rhum résolument léger, qui s’exprime sur une trame discrète de caramel, de tabac, d’épices douces (vanille en tête) et de touches timidement fruitées (dont les fruits secs).

Il n’est pas sans vous faire penser à des rhums produits sur une autre île des Caraïbes : Cuba.

Votre rapprochement tombe juste, encore plus que vous le pensez.

Avant tout, et vous vous rendez compte que ce sont les arômes liés au temps passé sous bois qui se manifestent (prudemment). Ces notes classiques, que vous avez déjà expérimentées lors de dégustation de rhums d’Amérique Latine, caractérisent le liquide.

Pour obtenir ce profil particulier, le distillat fraichement coulé ne doit pas être trop expressif, et ainsi laisser de la place (beaucoup de place) à l’aromatique du fût.

Afin de créer un rhum blanc proche de la neutralité, deux étapes doivent être respectées : fermentation courte et distillation à très haut degré.

 

La transformation du sucre de la mélasse en alcool se fait en moins de 36 heures à l’aide de levures sélectionnées, dont le but est de mener cette étape le plus rapidement possible (mais pas de créer du goût).

 

Quand le vin de mélasse se montre prêt (il titre environ 8 % d’alcool), il peut alors être envoyé vers un système de distillation multi-colonnes.

En sort un spiritueux aux alentours des 95 % d’alcool, qui, s’il est dégusté tel quel (une fois réduit tout de même, il ne faudrait pas être victime de combustion spontanée), fera furieusement penser à de la vodka, avec comme arôme principal l’éthanol.

De cette façon, après une réduction amenant le distillat vraisemblablement vers les 65 %, le rhum fraichement coulé est entonné (le plus souvent dans des ex-fûts de bourbon, mais des fûts de cognac, de vin californien ou encore de porto sont aussi – rarement – utilisés).

Le bois, n’ayant pas de concurrent organoleptique, pourra librement diffuser ses arômes au liquide qu’il renferme.

Il faut cependant noter que l’objectif ne sera jamais de marquer très fortement le rhum, il faut maintenir un profil léger.

 

Là où votre parallèle avec les rhums cubains était drôlement bien vu (encore bravo), vient de la tradition d’assembler un alcool léger (comme décrit plus haut) et une eau-de-vie plus lourde (riche en éléments non-alcool et donc en goût). Oui, comme à Cuba.

 

 

Pour ce faire, les principales distilleries de Porto Rico disposent de deux appareils à distiller : une multi-colonnes et une colonne moins grande, coulant un jus aux alentours des 75 %.

Chaque distillat connait une première période de vieillissement, puis ils se voient assemblés sous bois.

Il ne semble cependant pas que cette pratique de blending soit requise par la loi portoricaine (contrairement à Cuba) et qu’il s’agisse simplement d’une tradition.

Il existe quatre règles qu’un rhum de Porto Rico doit respecter :

  • Matière première utilisée : mélasse
  • Distillation : continue
  • Vieillissement : au moins un an (même pour les blancs, qui sont ensuite blanchis sur charbon)
  • Les étapes de production doivent être réalisées à Porto Rico

Sans qu’il s’agisse d’une Indication Géographique à proprement parler, l’ensemble de ces points garantit une certaine cohérence entre les différentes productions de l’île et une « qualité » minimum.

À noter que l’intégralité de la mélasse nécessaire à la production de rhum est importée (Mexique, République Dominicaine, États-Unis, Brésil, Guatemala…). La dernière usine sucrière a fermé ses portes en 2000.

En évoquant les États-Unis, difficile de ne pas parler le lien unique qui les lie à Porto Rico. L’île jouie d’un statut d’état associé aux États-Unis, qui, entre autres choses, lui permet de bénéficier d’une absence de taxe mise en place sur la plupart des échanges entre ces deux pays.

Conséquence : 70 % de rhum vendu aux States vient de Porto Rico. Ah quand même ! Voilà de quoi briller lors de vos prochaines réceptions de l’ambassadeur.

À la manière des rhums cubains, la majorité des rhums de Porto Rico se destine avant tout à être consommée en cocktails. Leur goût léger et flatteur, ainsi que leur potentielle absence de couleur (malgré leur vieillissement) se marie bien aux autres ingrédients et leur fait la part belle.

C’est d’ailleurs avec un rhum de l’île que fut créé la célèbre piña colada, qui peut s’enorgueillir de tenir le rôle de boisson nationale de Porto Rico.

Bien sûr, comme d’habitude, si je m’arrêtais là, ce serait trop simple.

Bien qu’introuvables par chez nous, des rhums pur jus de canne sont produits (en distillation discontinue) depuis une douzaine d’années par une petite distillerie dans le nord de l’île. Oui, je sais, ça fait envie.

À vous de vous mettre en quête de cette perle rare !

 

Laurent Cuvier

Alias “L’homme à la poussette”, dégustateur, auteur, blogueur

Laurent Cuvier est tombé amoureux des distillats issus de canne à sucre il y a plus de dix ans. Journaliste indépendant, blogueur, dégustateur, podcasteur, juré et voyageur du rhum (visites de distilleries en Asie, dans les Caraïbes, en Europe ou encore aux États-Unis), il n’a de cesse de perfectionner son expertise en la matière et de la partager.