RHUM VIEUX AOC MARTINIQUE, ALLER AU FOND DE LA BOUTEILLE

 

Pourquoi un rhum vieux AOC Martinique développe-t-il ce profil aromatique ? Remontons de la bouteille à la canne pour le comprendre.

RHUM VIEUX AOC MARTINIQUE

Photo d’illustration © Anne Gisselbrecht

Il est temps de rendre visite à votre boutique préférée. Il y a tout un pan d’étagère sur lequel vous ne vous étiez jamais attardé, où sont assorties des bouteilles aux noms bien connus, surtout lorsque l’on apprécie les punchs planteurs ou les ti-punchs. Mais vous vous rendez compte qu’il y a aussi énormément de rhums vieux.

Votre caviste, pas avare d’informations et de bons conseils, vous encourage à repartir avec, ce qu’il appelle, un VSOP, terme que vous pensiez réservé au cognac (vous en savez des choses !). Il vous parle aussi d’AOC, de rhum agricole, de cahier des charges, rhum vieux, de règlementation, de meilleur rhum du monde (oui, son avis est peut-être un peu biaisé).

Bref, il vous abreuve d’informations, à défaut de rhum. Vous suivez son conseil, et c’est une bouteille de rhum AOC Martinique VSOP, qui rejoint votre armoire à merveilles liquides.

 

La patience n’étant pas votre fort, votre flacon nouvellement acquis voit son bouchon sauter le soir-même. Vous ne vous rappelez pas tout ce que votre expert es-rhum vous a dit mais, vous avez gardé en tête que votre nouveau rhum répond au qualificatif de rhum agricole et qu’il est donc issu de la fermentation de jus de canne fraichement pressé (quand je vous dis que vous en savez déjà beaucoup).

Et pourtant, lorsque vous mettez le nez au-dessus de votre verre à dégustation, tout juste rempli de 2 ou 3 cl, vous ne détectez pas ces arômes de canne fraiche auxquels vous vous attendiez.

 

Ce sont des épices, du boisé, un zeste d’orange, des fruits secs, des arômes torréfiés et une note pâtissière qui le caractérisent.

 

Le vieillissement d’une durée minimum de 4 ans (c’est ce que VSOP donne comme indication) a donc profondément modifié le profil organoleptique du rhum. Cependant, il se distingue aussi d’autres rhums vieux que vous avez pu croiser sur votre épopée rhumesque et possède une identité particulière et marquée.

Plusieurs facteurs expliquent cette signature gustative.

Certes, comme vous l’avez remarqué, l’élevage (durée passée au contact du bois dans le fût) joue un rôle prépondérant au travers des arômes qui en sont issus, mais il n’est pas le seul. Le distillat a également son mot à dire – et quand il s’agit de rhum pur jus de canne, il a beaucoup à raconter, a fortiori au sein de l’AOC Martinique.

Attention, je vais incorporer un petit peu de technique dans votre verre de rhum.

Comme toute Appellation d’Origine Contrôlée, celle-ci est fondée sur la notion de terroir. Pour faire simple, gardons à l’esprit l’importance du savoir-faire reconnu selon lequel sont réalisées toutes les étapes de production au sein d’une aire géographique précise.

 

L’AOC Martinique, qui a été adoptée en 1996 avait comme objectif principal de protéger les rhums produits sur l’île des contrefaçons.

 

Bien sûr, c’est un point important pour le consommateur, qui est assuré de la qualité des produits arborant cette indication, mais ce qui l’est tout autant, réside dans le cahier des charges de l’AOC.

Les producteurs de rhums AOC Martinique doivent suivre à la lettre un certain nombre de règles tout au long de l’élaboration du précieux liquide.

Je ne vais pas toutes les lister ici, sinon, vous allez vous retrouver avec petit livre indigeste plutôt qu’un court article facile à lire. Pour les plus curieux (et les plus courageux), je vous conseille de jeter un œil à l’arrêté du 29 décembre 2020, qui regorge de quoi étancher votre soif (de connaissances).

Parmi les critères figurant au cahier des charges, on trouve entre autres :

  • les variétés de cannes,
  • les zones géographiques,
  • la période de récolte de la canne,
  • la fourchette de durée de fermentation,
  • l’appareil à distiller (colonne créole),
  • le pourcentage volumique de coulage,
  • la durée minimale de repos du rhum blanc,
  • l’essence de bois (le chêne) utilisée pour le vieillissement,
  • le fait que ces rhums doivent présenter un profil organoleptique propre au rhum AOC et leur non-édulcoration.

 

L’ensemble de règles le plus stricte dans le monde du rhum où chacun des principes à respecter va avoir un impact sur les arômes et les saveurs de votre rhum.

 

Cela se traduira sur l’eau-de-vie de canne non vieillie par des notes fruitées, végétales et florales, tout en développant puissance et finesse aromatiques. Mais lorsque le rhum est mis à vieillir (dans des fûts de chêne de mois de 650 litres), il va progressivement se modifier, autant visuellement qu’organoleptiquement – ce n’est pas tous les jours qu’on fait face à un mot de sept syllabes.

Un rhum vieux AOC Martinique doit passer au moins trois ans en fût, quatre ans pour un VSOP et six ans pour un XO. Ils pourront cependant être plus vieux, les âges décrits sont des âges minimums.

Sa couleur va devenir de plus en plus intense au fil des ans, entre miel et acajou foncé. La teinte d’un spiritueux provient, en principe, du contact avec le bois. Je dis « en principe » car beaucoup de producteur utilisent du caramel colorant pour uniformiser leurs produits, voire pour totalement en changer la couleur, ce dernier point étant interdit dans le cadre de l’AOC.

 

Les arômes vont totalement changer, devenir plus complexes et plus longs en bouche.

 

Le cahier des charges les écrit comme suit : boisés, fruités (figues, dates, pruneaux), épicés (vanille, cannelle, muscade) et empyreumatiques (torréfié, café, grillé, cacao).

Le choix du fût jouera un rôle prépondérant (ainsi que le temps passé dans ce fût). Du chêne français n’aura pas le même effet que du chêne américain ; l’influence du fût neuf se traduira différemment que celle d’un fût usagé ; le précédent contenu pourra avoir un impact majeur sur le rhum nouvellement entonné.

Autant de choix que la distillerie et le maître de chais devront faire en fonction du résultat escompté.

 

Votre nez ne vous avait donc pas trompé, vous êtes bien loin d’un rhum blanc pur jus de canne. Cependant, soyez certain que l’identité du distillat a bien son rôle à jouer sur le profil du rhum vieux, même si ce sont les conditions de vieillissement qui détermineront l’essentiel de la trame aromatique de votre rhum vieux AOC Martinique.

Laurent Cuvier

Alias “L’homme à la poussette”, dégustateur, auteur, blogueur

Laurent Cuvier est tombé amoureux des distillats issus de canne à sucre il y a plus de dix ans. Journaliste indépendant, blogueur, dégustateur, podcasteur, juré et voyageur du rhum (visites de distilleries en Asie, dans les Caraïbes, en Europe ou encore aux États-Unis), il n’a de cesse de perfectionner son expertise en la matière et de la partager.